Depuis plusieurs décennies, les performances scolaires des élèves en France et dans une grande partie du monde occidental connaissent une chute alarmante. Ce constat dépasse le cadre éducatif pour devenir une véritable crise sociétale, révélatrice de profondes mutations psychologiques, philosophiques et politiques. Les chiffres sont sans appel : nous assistons à une réduction dramatique des penseurs autonomes au profit d'une masse d'utilisateurs dépendants, incapables de réflexion critique.
Un effondrement mesuré : les chiffres parlent d'eux-mêmes
- Les évaluations PISA : un miroir inquiétant
- Depuis 2000, les résultats français aux tests PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) montrent une baisse significative.
- Mathématiques : De 517 points en 2000, les élèves français sont tombés à 495 en 2018, un recul équivalent à presque une année d'apprentissage. La France se classe aujourd’hui au 30ᵉ rang mondial, très loin derrière des pays comme Singapour (575) ou le Japon (527).
- Compréhension de l’écrit : Le score moyen est passé de 505 en 2000 à 493 en 2018, plaçant la France au 23ᵉ rang mondial, alors qu’elle était historiquement une référence dans ce domaine.
- Écart socio-économique : La France figure parmi les pays où les inégalités scolaires sont les plus marquées. Les élèves issus de milieux défavorisés ont jusqu’à trois ans de retard sur ceux de milieux favorisés, un fossé qui s’est creusé de 14 % en 20 ans.
- Depuis 2000, les résultats français aux tests PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) montrent une baisse significative.
- Orthographe et lexique : un naufrage linguistique
- La dictée en CM2 : Une étude sur 30 ans montre une explosion des erreurs. En 1987, les élèves faisaient en moyenne 31 % d’erreurs, contre 91 % en 2021. L’effondrement est vertigineux.
- Champ lexical réduit : Des analyses récentes montrent qu’un enfant de 12 ans en 2023 maîtrise en moyenne 1 500 mots de moins qu’un enfant du même âge dans les années 1970. Le vocabulaire est aujourd'hui limité à des expressions utilitaires, réduisant leur capacité à conceptualiser des idées complexes.
- Pensée critique : une compétence abandonnée
- Les études de l’OCDE montrent que 70 % des élèves français de 15 ans sont incapables de résoudre des problèmes impliquant une réflexion critique ou une mise en contexte. Ils se contentent de suivre des instructions simples, sans capacité à extrapoler ou anticiper.
Une société d’utilisateurs, pas de penseurs
Ce constat pose une question fondamentale : quels citoyens préparons-nous pour demain ?
La dégradation actuelle de l’enseignement produit des individus formés à utiliser des outils technologiques sans en comprendre les mécanismes, les enjeux ou les implications philosophiques.
1. La montée d'une "société utilitaire"
- Les adolescents d'aujourd'hui, et plus encore les générations futures, sont élevés dans une culture de consommation et d'usage immédiat. Les écrans remplacent les livres, et les "tutoriels" sur YouTube remplacent l'apprentissage expérimental. La pensée critique, outil essentiel de toute société éclairée, est mise de côté.
2. Les "penseurs" : une élite minoritaire
- Alors que la majorité des élèves sont formés à utiliser des outils créés par d'autres, une infime minorité bénéficie encore d'une éducation visant à les rendre créateurs et penseurs. Cette divergence pourrait accentuer la fracture sociale et intellectuelle, instaurant une domination quasi totale d'une élite sur une masse dépossédée de son pouvoir de réflexion.
3. Un désastre psychologique et philosophique
- Psychologiquement : Les jeunes sont de plus en plus déconnectés de la réalité. Des études montrent une montée de l'anxiété et de la dépression, liées à leur dépendance technologique et à leur incapacité à résoudre des problèmes par eux-mêmes.
- Philosophiquement : L’éducation, jadis lieu de transmission des valeurs humanistes, est devenue une chaîne de production de compétences utilitaires. L'art de penser, fondement des démocraties modernes, est remplacé par une logique de productivité et d'efficacité.
La comparaison internationale : l'Asie et les États-Unis
L’Asie : un modèle d’exigence
- Des pays comme Singapour, la Corée du Sud et le Japon investissent massivement dans l’éducation. Leur priorité : développer la résilience intellectuelle et la pensée stratégique.
- En Corée du Sud, 98 % des élèves obtiennent leur diplôme secondaire, et près de 70 % poursuivent des études supérieures.
- Les méthodes pédagogiques insistent sur l’apprentissage en profondeur et la résolution de problèmes complexes, en contraste frappant avec l’approche française.
Les États-Unis : une diversité d’expérimentations
- Bien que les performances globales des États-Unis soient inégales, certains États (notamment le Massachusetts) rivalisent avec les meilleurs systèmes éducatifs mondiaux grâce à des réformes locales axées sur la pensée critique et les STEM (sciences, technologies, ingénierie et mathématiques).
Un projet politique dissimulé ?
Face à cette situation, on peut légitimement s’interroger sur les causes profondes de cet effondrement éducatif. Certains analystes dénoncent un projet politique visant à :
- Maintenir le statu quo des élites : Former une population dépendante et malléable serait un moyen de préserver les inégalités sociales et de consolider la domination économique et culturelle d’une minorité.
- Répondre à des intérêts économiques : Une population formée uniquement à l’utilisation, et non à la réflexion, est idéale pour un marché mondial axé sur la consommation et l’obéissance technologique.
Propositions pour inverser la tendance
- Revaloriser les fondamentaux : Réinvestir dans l’enseignement du français, des mathématiques et de l’histoire, en insistant sur la compréhension et la réflexion critique.
- Réduire la dépendance technologique : Limiter l’usage des écrans à l’école et promouvoir des activités pédagogiques ancrées dans le réel.
- Encourager la philosophie et la créativité : Introduire des cours de philosophie dès le collège et multiplier les projets interdisciplinaires pour développer l’autonomie intellectuelle.
- Investir dans les enseignants : Revaloriser le métier d’enseignant pour attirer les meilleurs profils et garantir un encadrement de qualité.
Conclusion
L’effondrement des performances scolaires en France est un signal d’alarme que nous ne pouvons plus ignorer. Plus qu’une crise éducative, il s’agit d’une catastrophe sociétale, psychologique et philosophique. Il est urgent de repenser nos priorités pour éviter de sombrer dans une société d’utilisateurs passifs, asservis par une technologie qu’ils ne maîtrisent pas, et de redonner à l’école sa mission première : former des citoyens libres et éclairés.
Article : Pr. Pascal LAPLACE
Illustration : Ben BAHIYA A.